Cordelettes hyperstatiques

Les cordelettes avec une âme en fibre aramide (Kevlar) existent depuis longtemps, mais leur emploi est toujours resté limité à la fabrication d’anneaux d’ancrage ou de boucle de remplacement pour les coinceurs. Leur prix très élevé a certainement freiné la popularisation de leur emploi.

La fibre aramide Kevlar:

Emploi pour un anneau sur les coinceurs à cames:

La cordelette Kevlar est généralement employée pour remplacer l’anneau de sangle usé sur les coinceurs mécaniques. Pour fermer définitivement un anneau en cordelette Kevlar, il est recommandé d’effectuer le nœud de pêcheur double en laissant au moins 5cm à chaque extrémité du nœud.

« Cordelette de relais » en Kevlar employée pour relier les points d’un relais en terrain d’aventure: le « nœud roumain »

Lorsqu’il s’agit de relier entre eux les différents points d’ancrages , une méthode très pratique consiste à employer un grand anneau confectionné à partir d’un brin de cordelette Kevlar de Ø5.5 / 6 mm par 5.50 m.  Le fait que la cordelette ne soit pas encore nouée en anneau permet de la passer dans tous les points du relais sans forcément avoir besoin d’un mousqueton. Pour fermer l’anneau, on effectue un « nœud de poing double », ou « nœud roumain« . Laisser dépasser les brins d’au moins 10cm hors du nœud.

Après avoir relié les différents points entre eux et pour fermer les différentes liaisons, on fait un nœud en « tête d’alouette » qui ne glissera pas si il est mis en tension sur une partie seulement des liaisons grâce à la rigidité du Kevlar. Le nœud en « tête d’alouette » ne convient par contre pas du tout pour la cordelette avec une âme et une gaine en PEHD, la matière trop glissante ne permettra pas au nœud de tenir. Enfin, l’emploi d’un mousqueton de sécurité en « D » de grande taille, dont la résistance est largement supérieure à celle d’un mousqueton type H, pour l’emploi en tant que point central d’un relais, avec un nez « keylock »  complétera de manière optimale l’installation du relais: assez de place pour le nœud en « tête d’alouette » et un nez qui permet de faire sortir le nœud facilement après l’emploi.

Il faut prêter la plus grande attention lors du choix du mousqueton qui va servir de point central du relais. Des tests de résistance sous contrainte ont mis en lumière une fragilité potentielle de la plupart des mousquetons de type H dans l’usage comme point central d’un relais compensé. Ces tests de résistance ont été effectués par la Fédération ibérique de montagne et d’escalade, et publiés par Desnivel et Montagnes Magazine entre autres. De son côté, l’ENSA a également effectué et publié des tests dont les résultats ont franchement tendance à tempérer l’alarmisme des espagnols.

La raison voudrait que l’on trouve un chemin intermédiaire, comme l’emploi d’un mousqueton type H avec les plus hautes résistances, ou un type B suffisamment grand et dont la résistance de départ est plus élevée que la plupart des modèles existants, comme le Zodiac de DMM avec ses 32kN de résistance pour 75g., ou bien le Ultra D, toujours de DMM, plus grand, avec ses 30kN et ses 80g.

Une autre solution consiste à employer une sangle de 120cm et d’y faire un nœud de chaise doublé (ou bouline doublé) comme point central, anneau double dans lequel on viendra clipper tous les mousquetons suivants. Il faut toutefois faire attention que la corde d’assurage n’entre pas en contact avec la sangle, risque de brûlure! On peut laisser le nœud prêt sur les 2 sangles de relais, et les défaire facilement, même après une chute, une fois la voie terminée.

On peut enfin aussi bien imaginer employer un multiplicateur d’amarrages, comme le PAW S rouge de Petzl, avec ses 4 trous utiles et son poids plume de 55g, ou encore le BAT Plate XS de DMM, 4 trous utiles et seulement 37g. ! L’avantage du multiplicateur sera la séparation des mousquetons, et la quasi certitude qu’ils ne vont pas se chevaucher au moment d’un impact.

Dans tous les cas, il convient de:

a. Vérifier le verrouillage du mousqueton employé comme point central, le danger viendra en effet plus vite d’un « déclippage » intempestif que d’une réelle rupture en charge d’un mousqueton H.

b. Mettre le mousqueton susceptible d’occasionner la plus grande charge en cas de chute du leader (« dummy runner », assurage sur le relais etc.) sur le côté « borgne » du mousqueton central, de façon à ce qu’il se retrouve au plus près de l’axe fort du mousqueton central au moment du pic de charge, loin du doigt d’ouverture!

Pour transporter cette « cordelette de relais », deux solutions:

Soit on la plie en écheveau et on fait un nœud de huit pour manger le volume, soit on la transporte en anneau fermé. Dans ce cas, la longueur de 5.50 m est très importante, car une fois fermée par le nœud de poing double, l’anneau se laisse plier en quatre pour obtenir une longueur de 60 cm, facile à porter en bandoulière. Le but étant qu’elle ne « pendouille » pas trop bas au harnais, source de grand risque de se prendre dans les crampons en montagne!

Ne pas oublier d’en emporter 2 pièces, une pour le relais en cours, la deuxième pour le prochain relais!

La fibre PEHD (Dyneema ou Spectra)

Depuis quelques années, la fibre PEHD (Dyneema ou Spectra), très légère et résistante, s’est imposée comme étant la fibre du futur pour le matériel d’escalade: pas trop chère, 6x plus solide à la traction et 6x plus résistante au frottement que le polyamide, plus résistante aux nœuds que le Kevlar, très légère, et surtout hyperstatique! Ses propriétés en font un matériau extrêmement intéressant, avec toutefois quelques précautions à prendre en considération…

Le premier emploi pour la fibre PEHD dans le matériel d’escalade a été la fabrication d’anneaux de sangle. Comme évoqué plus haut, le PEHD a une structure extrêmement lisse en surface. En conséquence, le nœud de sangle conventionnel n’est pas adapté pour fermer un anneau de sangle Dyneema, car la sangle glisse et le nœud se défait sous une force de traction très basse. Pour rappel: Seul le nœud de pêcheur triple ou quadruple tiendra pour fermer un anneau de fortune. Du coup, seules les coutures effectuées par le fabricant permettent de fermer un anneau de sangle PEHD en toute sécurité.

Depuis peu, de nouvelles cordelettes très fines aux propriétés hyperstatiques sont apparues sur le marché.

Elles sont proposées dans des diamètres très fins. Suivant les fabricants, et leurs matériaux (gaine + âme), leur diamètre oscille entre 5, 5.5 & 6 mm de diamètre. Il faudra choisir le type et le diamètre adapté à l’activité prévue, et privilégier le plus gros diamètre, à savoir le 6 mm au moins pour l’emploi sur glacier, question de tenue des engins lors d’un sauvetage sur un diamètre aussi fin. Attention: l’ancienne cordelette Mammut « Rappel Cord 6.0 » est composée d’une gaine 50% Polyamide & 50% Kevlar, et d’une âme 100% en Polyester, choisi pour son faible allongement, le tout non-traité contre l’humidité. Sa résistance est parfaite pour l’activité de rappel, comme son nom l’indique, mais n’est pas adaptée pour l’encordement sur glacier. 

En remplaçant le polyamide ou le polyester de l’âme des cordelettes standard par du PEHD, on obtient une cordelette extrêmement solide, légère et surtout hyperstatique. Leur emploi se démocratise très vite, le grimpeur recherchant toujours à gagner du poids tout en restant concerné par sa sécurité..!

Au début, elles ont répondu à la demande pressante d’une pratique de plus en plus courante, consistant à grimper avec une corde à simple en longues voies, et à emporter avec soi un brin de cordelette très fine pour la coupler avec la corde à simple pour la descente en rappel. Cette tactique est employée depuis bien longtemps par les grimpeurs désireux de gagner du poids. Ils ont utilisé jusqu’alors de la cordelette conventionnelle, qui a le gros désavantage d’être un peu élastique et surtout d’avoir une résistance mécanique très limitée. L’élasticité de la cordelette classique sous charge contribue pour une grande part à la fragilité aux frottements, à cause des petits mouvements de va-et-vient qu’elle induit. L’arrivée des cordelettes hyperstatiques avec une âme en PEHD supprime donc ce point faible, et celles-ci semblent parfaitement adaptées à cet usage en rappel.

Pour pouvoir travailler sûrement et confortablement sur ces cordelettes hyperstatiques, il est indispensable d’adapter les outils et les méthodes que l’on va employer.

Avec la combinaison corde dynamique/cordelette hyperstatique, il faut absolument tenir compte des recommandations ci-dessous :

Installation et descente en rappel 

Nœuds recommandés :

Il convient de ne faire que le nœud simple doublé, ou nœud de plein-poing doublé pour lier les deux corde/cordelette au sommet du rappel, seule combinaison de nœuds qui permettent de garantir la sécurité. Toujours passer la corde dynamique plus épaisse dans l’ancrage de rappel, en prenant soin d’éloigner le nœud d’au moins 30 cm vers le bas. Attention toutefois, certaines cordelettes PEHD sans gaine nylon ou polyester/kevlar ne conviennent absolument pas pour cet usage. Sans cette gaine PA ou PE, la fibre PEHD est trop glissante, et les nœuds ne tiendront pas! Laisser dépasser les extrémités de corde/cordelette d’au moins 30cm après le nœud.

Mise en place des cordes dans la boucle unique d’un relais de rappel chaîné, ou deux points reliés par un anneau de cordelette et équipé d’un maillon rapide sur le point du bas:

Dans le cas où il n’y a qu’une boucle de rappel et qu’elle est parallèle au rocher, si l’on fait le nœud devant la boucle, il existe un grand danger : la corde plus épaisse va tirer sur la cordelette, le nœud de liaison risque rapidement de se retrouver à cheval sur la boucle de rappel, et les cordes seront bloquées et ne pourront plus être rappelées depuis le bas!

ATTENTION: Dans le cas où l’on aurait passé la cordelette au lieu de la corde dans l’ancrage, le descendeur va tirer sur la corde, la cordelette va coulisser à travers l’ancrage et l’on se retrouve face à grave danger de chute à la clé !

Dans tous les cas, toujours passer la corde dans l’anneau de rappel!

Donc lorsque la boucle de rappel est unique, et qu’elle est parallèle à la paroi, il est impératif de passer la corde dynamique depuis le dessus vers l’arrière de la boucle, et d’effectuer les nœuds en-dessous, entre le rocher et la boucle. Si les cordes devaient coulisser pendant la descente, les nœuds viendront buter depuis dessous contre la boucle, et ne se mettront pas à cheval sur elle. Au moment de tirer, la traction vers le bas de la cordelette plus fine décollera la boucle et la corde coulissera librement.

Si cette boucle évoquée ci-dessus est perpendiculaire au rocher, le sens d’introduction de la corde dynamique sera dicté par la suite de la descente et de la traction suivante. Toujours placer le nœud du côté de la traction de rappel de la corde. Cela évitera à la corde dynamique de faire un twist sur elle-même au niveau de la boucle qui risque de freiner et compromettre la traction.

Lorsque le relais est équipé de deux points indépendants, et  que la corde doit passer à travers deux boucles distinctes, la mise en place est plus logique et classique : les nœuds viendront effectués sous la boucle la plus basse, et les cordes ne pourront jamais venir se mettre à cheval sur le point du haut.

Choix des engins

Pour l’assurage et la descente en rappel, il convient d’adapter la taille de l’engin au diamètre très faible. Les tubes et descendeurs en « 8 » conventionnels ne conviennent pas, et n’offrent qu’un freinage insuffisant. Il faudra choisir les plus petits descendeurs en « 8 », ou inverser le descendeur classique de façon à mettre la ou les cordes sur l’anneau le plus petit. L’emploi du « Freino » peut s’avérer utile si l’on est lourdement chargé…

ATTENTION : les tubes semblent inappropriés pour le mélange des diamètres ! Du fait de la grande différence de diamètre entre les cordes, la plus épaisse va freiner plus fort, et la cordelette plus fine coulisser plus vite à travers l’engin!

Emploi comme corde de glacier

L’idée d’employer ce type de cordelette également pour l’encordement sur glacier est très vite née… toujours l’idée de gagner du poids dans le sac!

Restait néanmoins à s’assurer de leur solidité et de leur adéquation pour cet emploi.

Il faut rappeler à ce stade la différence entre une corde dynamique et une corde statique.

La corde dynamique est composée de fibres Polyamide 6, nylon très élastique par nature (environ 15% d’allongement naturel), qui vont subir divers traitements thermiques et chimiques pour les rendre encore plus élastiques (environ 50% d’allongement après traitements). C’est l’allongement de ses fibres d’âme et de gaine qui va permettre à la corde dynamique de transformer l’énergie cinétique d’une chute en énergie de chaleur, et de permettre de retenir cette chute sans dommages majeurs.

Au passage, la force de choc annoncée par l’étiquette du fabricant correspond à la force que la corde retransmet au corps du grimpeur et à la chaîne d’assurage en bout de chute, lorsqu’elle ne peut plus s’allonger (Force de choc maxi: 12kN). Ce type de corde est conçu pour retenir des chutes de hauteur. (Chute de hauteur = le grimpeur tombe depuis plus haut que le relais, dépasse le niveau du relais et chute vers le bas)

Pour déterminer la sévérité d’une chute pour le matériel, on va calculer le facteur de chute. Le facteur de chute est obtenu en divisant la hauteur totale de la chute par la longueur totale de corde employée depuis le système d’assurage jusqu’au nœud du harnais du grimpeur. Ex: je monte de 2,50 m au-dessus du relais, et tombe avant d’avoir pu clipper le premier point. Je vais donc tomber de 5 m. Hauteur 5 : longueur totale employée 2,50 = Facteur 2
Le facteur 2 est le plus élevé que l’on puisse atteindre en escalade ou en alpinisme. Des facteurs plus élevés ne peuvent être atteints qu’en via ferrata.

Les cordes statiques sont elles fabriquées en PA 6 ou en PE, fibres qui ont toutes deux une élasticité naturelle, mais que l’on ne va pas modifier thermiquement. Le tressage de ces fibres va rendre la corde encore moins élastique que si les fibres étaient simplement alignées. Leur très faible allongement -autour de 3 à 5% sous charge de 100kg suivant le diamètre- rend la corde plus confortable pour les travaux en hauteur, simplement suspendu ou en remontée sur la corde. (Travaux en hauteur, spéléologie, équipement de voies etc.) L’effet yo-yo d’une corde dynamique est absent, et l’usure par frottement de la corde sur le rocher quasiment absente. L’élasticité naturelle des fibres de ce type de corde permet de retenir une chute d’au maximum facteur 1, soit la longueur de corde employée = la hauteur de chute. La force de choc maximale de 12kN n’est ainsi pas dépassée.

Est-ce la cause ou l’effet? Toujours est-il que des tests menés au Col du Midi par l’ENSA de Chamonix ont apporté la preuve qu’une chute en crevasse était retenue beaucoup plus efficacement et facilement par une corde statique plutôt que par une corde dynamique, employée en principe lorsqu’on fait de l’alpinisme.

https://youtu.be/Qhw9AM7ahlA

Cette constatation va à l’encontre de ce que l’on a toujours cru, et pourtant… En effet, la corde statique ne s’allonge qu’une fois lors du choc, extrêmement peu, et la charge est tout de suite pendue à la corde. Au contraire d’une corde dynamique, qui va s’allonger en absorbant l’énergie de la chute, se rétracter et s’allonger à nouveau. Les tests effectués au Col du Midi ont démontré que c’est toujours ce rebond qui a été la cause de la difficulté à retenir une chute en crevasse avec une corde dynamique.

Et c’est là que ces nouvelles cordelettes hyperstatiques avec une âme en fibre PEHD deviennent très intéressantes! En effet, leur allongement quasiment nul est un avantage évident dans la retenue d’une chute en crevasse. Il n’y a en principe pas de risque de chute de hauteur en marchant sur un glacier, donc le facteur de chute de 1 n’est jamais dépassé, et l’élasticité de la corde n’est donc pas indispensable. De plus, l’hyperstaticité de la cordelette sera encore un avantage au moment de retirer la victime vers la surface: tous les efforts de traction vers le haut seront immédiatement retransmis jusqu’à la victime, et non pas amortis par une élasticité parasite.

Encordement

L’encordement aux deux extrémités de la cordelette peut se faire de manière tout à fait classique, sur nœud de « huit » ou sur « demi double-nœud de pêcheur ». Pour les personnes en milieu de cordée, il est avantageux d’employer le nœud de papillon pour sa forme: les brins tirants sont alignés dans le nœud, et la gaine souffrira moins en cas de mise en traction des 2 côtés. On vient attacher la ganse dans deux mousquetons inversés, dont au moins un avec sécurité, sur le pontet.

Nœud de papillon

Nœuds de freinage sur glacier enneigé

L’emploi de nœuds de freinage sur la cordelette, recommandable dans une cordée de 2 alpinistes en progression sur glacier, est indispensable si l’on veut avoir une chance de stopper la chute en crevasse sans aller jusqu’au bout de la longueur. Le souci avec un nœud traditionnel est le cisaillement par étranglement de la gaine à la sortie du nœud. Plus la cordelette est fine, moins il y a de gaine, et plus il y aura de fragilité à la sortie du nœud.

Nœud de huit repassé

Nœud ENSA

Pour cet usage, je recommande trois types de nœuds, inspirés du nœud de papillon simple, mais qui doivent être plus gros pour se bloquer efficacement dans la neige de la lèvre de la crevasse.  Il s’agit du nœud de papillon triplé, du nœud de huit repassé et d’un nœud de freinage présenté par l’ENSA, dérivé lui aussi du nœud de huit, que je me permets de baptiser « Nœud ENSA ». Ces trois nœuds sont modifiés de façon à gagner du volume tout en conservant les brins tirants alignés au sens de la traction.  Le souci de cisaillement est moins aigu avec les nœuds présentés ci-contre!

Sauvetage

Pour remonter une victime après une chute en crevasse, certaines cordelettes sont homologuées pour bien fonctionner avec la poulie-bloqueur « Micro Traxion » de Petzl, combinée avec le « Tibloc » de nouvelle génération (avec la pièce basculante en plastique orange qui appuie le mousqueton sur la gaine de la cordelette) de Petzl. On trouve aussi la poulie-bloqueur « Spoc » d’Edelrid. À combiner également avec le nouveau « Tibloc » de Petzl.

Si l’on veut travailler avec du matériel conventionnel, le diamètre de la cordelette des nœuds autobloquants devra être abaissé au maximum, mais pas en-dessous de 4 mm… Tenue difficile et manipulations peu pratiques à la clé…